vendredi 14 décembre 2007

Opinion - Europe - Pour en finir avec la pensée unique européenne

La Libre Belgique 14-12-2007:



Inès TREPANT Politologue; auteure de "Pour une Europe citoyenne et solidaire” (Editions De Boeck Université)


Le primat, accordé à la politique de concurrence, explique en quoi l'Union a été incapable de mettre en oeuvre une régulation favorable à l'emploi, sans hypothéquer l'avenir de la planète. L'approche globale de l'économie dans l'Union européenne (UE) s'inscrit dans la lignée du "Consensus de Washington” selon lequel le développement des pays suppose plus de libéralisation du commerce, de privatisation et de dérégulation. Ces principes qui dominent aussi l'ensemble des accords de l'OMC forment le fil conducteur des politiques européennes dans les domaines socio-économique et commercial.



Tandis que l'enjeu de la mondialisation figure au menu du Conseil européen de ces 13 et 14 décembre, un nouveau cycle de trois ans pour la "Stratégie de Lisbonne pour la croissance et l'emploi” (2008-2010) s'ouvrira en 2008, dont le point d'orgue sera l'adoption de nouvelles "lignes directrices intégrées”. Se faisant le chantre des bienfaits de la mondialisation et d'une ouverture accrue des frontières, la Commission européenne, avec l'appui du Parlement européen, a lancé le coup d'envoi de ce processus en prônant essentiellement "la continuité”.



Tout en se targuant de respecter le sacro-saint "principe de subsidiarité” en tant qu'élément clé du processus de construction de l'Europe, l'UE s'emploie à décliner inexorablement une même approche "taille unique” (celle du consensus de Washington), dont on peut identifier au moins quatre éléments principaux :



- En premier lieu, l'Etat joue un rôle résiduaire dans la définition des politiques macroéconomiques. Les institutions communautaires se limitent principalement à préconiser une politique de restrictions monétaires (au moyen d'une hausse des taux d'intérêt) et budgétaires (diminution des dettes publiques). Contrairement au statut de la Réserve fédérale aux Etats-Unis, la Banque centrale européenne ne met pas l'objectif de la croissance et de l'emploi sur le même pied d'égalité que l'objectif de la stabilité des prix, qui en constitue sa priorité absolue.



Dans ce contexte, la modération salariale, réalisée grâce à la discipline des partenaires sociaux, est perçue comme essentielle pour lutter contre l'inflation. Quant à la consolidation budgétaire, elle est devenue un but en soi. On ne prend donc pas en compte le conflit potentiel entre le besoin de limiter la dette publique et la réalisation des objectifs de Lisbonne qui en appellent à une politique intelligente d'investissements privés et publics pour faire face aux grands défis de la société, tels le changement climatique ou le vieillissement de la population.



- En second lieu, plutôt que d'analyser les conséquences sociales et environnementales de la globalisation, et de recadrer le cadre macroéconomique et commercial en conséquence, l'UE s'enferme dans un discours dithyrambique sur ses bienfaits, où c'est in fine le Modèle social européen qui est sommé de s'ajuster sur ses exigences, et non l'inverse. Les "réformes structurelles”, dont l'axe majeur consiste à supprimer lesdites rigidités du marché du travail, sont motivées en raison d'une compétition globale plus acharnée en provenance des pays émergents, dont l'avantage comparatif réside principalement dans une main-d'oeuvre qui travaille dans des conditions sociales et une pollution environnementale des plus inquiétantes.



En outre, compte tenu que la préoccupation de l'UE de s'adapter aux pays émergents a supplanté celle initiale qui consistait à combler un "déficit de productivité” en comparaison avec le marché des Etats-Unis, il est permis d'être particulièrement inquiet sur l'avenir du modèle social européen.



- En troisième lieu, les potentialités qu'offre la politique fiscale à l'échelle européenne sont malheureusement largement inexploitées, notamment en raison de la règle de l'unanimité au Conseil sur ces matières. Ce qui empêche, par exemple, l'adoption d'une approche stratégique commune de la taxation environnementale à l'échelle européenne, en dépit de l'urgence de s'attaquer à des problèmes écologiques majeurs tels que le changement climatique.



Du reste, la souveraineté fiscale est corsetée par les règles du marché intérieur : elle ne peut s'exercer que dans les marges imparties par le Traité. Ainsi, à l'instar du régime qui prévaut pour les aides d'Etat (l'article 87.1 du traité CE interdit les aides d'Etat qui faussent ou menacent de fausser la concurrence au sein du marché commun), les réglementations fiscales des Etats membres ne peuvent constituer des obstacles aux échanges.



Au vu de ce cadre fiscal européen, l'Union européenne en vient à conduire une politique fiscale défavorable à l'emploi et à l'environnement. De fait, si la logique voudrait qu'elle plaide pour un glissement de la taxation du travail vers la taxation de la dégradation environnementale, la réalité est tout autre. Elle favorise, en effet, la concurrence fiscale entre Etats sur les taux d'imposition des entreprises. Concurrence qui peut-être particulièrement dommageable puisqu'elle a fait chuter les taux d'imposition des sociétés dans les pays industrialisés de 45 pc à 30 pc en deux décennies : le fardeau fiscal s'est, du coup, déplacé vers le travail qui est une base d'imposition relativement stable.



- En quatrième lieu, la foi dans les vertus des règles du marché (dont les fondements s'enracinent dans le concept de la "Main Invisible” d'Adam Smith) conduit la Commission à confisquer les pouvoirs du législateur. Pour relever les standards sociaux, environnementaux ou de protection des consommateurs, la Commission européenne privilégie de plus en plus les instruments "de législation douce” - comme les Codes de conduite, les accords volontaires ou l'autoréglementation - aux dépens des instruments législatifs dits classiques, considérés comme un fardeau pour les décideurs du marché. Ce qui sert incontestablement les intérêts des multinationales en ce qu'ils les protègent de réglementations publiques plus contraignantes et des pressions citoyennes.



En résumé, le primat accordé à la politique de concurrence au sein de l'Union européenne explique en quoi elle a été incapable jusqu'à maintenant de mettre en oeuvre une régulation macroéconomique favorable à l'emploi, sans hypothéquer l'avenir de la planète. Pour inverser la vapeur, l'Union européenne se doit d'abandonner son approche "taille unique” de la croissance.



Face à une planète limitée en ressources, le mythe de la croissance illimitée doit être démantelé. Dans la même optique, aussi longtemps que le taux de croissance du PIB reste une donnée déterminante pour juger de la santé économique ou du degré de développement d'un pays (alors qu'il n'est, en soi, qu'une simple mesure de production), l'UE sera incapable de développer de façon crédible une approche intégrée du développement durable censé être un objectif transversal de l'UE, et qui suppose à tout le moins que d'autres indicateurs sociaux et environnementaux soient pris à bord, tant le bien-être des gens ne se résume pas à la quantification de leur pouvoir d'achat.



L'Union conduit une politique fiscale défavorable à l'emploi et à l'environneme

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