Maurizio Pallante est consultant en efficacité énergétique au Ministère italien de l’Environnement et de la Protection du Territoire et de la Mer. Chantre de la « décroissance heureuse », cet ancien professeur s’échine à bousculer nos idées sur ce que devrait être la société de demain. Interview.
Qu’entendez-vous par « décroissance heureuse », qui est aussi le titre de l’un de vos ouvrages ?
La décroissance est un concept opposé à celui de la croissance. En économie, la croissance est mesurée par rapport à l’augmentation du Produit Intérieur Brut (PIB) (Glossaire), celui-ci étant associé au bien-être d’une population: si le PIB augmente, il y a croissance économique et la population est donc sensée mieux se porter. C’est un leurre. Pourquoi ? Prenons l’exemple de la production d’objets ne nous servant pas : le PIB augmente sans pour autant augmenter notre bonheur. Par contre, l’échange des services à travers les banques du temps (Par exemple, Jean répare les chaussettes de Paul en échange de quoi celui-ci répare son ordinateur, ndlr ) ou l’autoproduction de biens (fruits,légumes, pain, yaourt, ndlr) n’entraîne pas une augmentation du PIB, alors la société y gagne en bien-être. Contrairement à ce que la croissance nous impose, ce dont nous avons besoin pour vivre n’est pas nécessairement marchand. La décroissance promeut la production et à la consommation de biens et services, pas forcément marchands et ne faisant pas toujours augmenter le PIB, mais qui améliorent nos conditions de vie et respectent l’environnement. C’est dans ce sens que je parle de «décroissance heureuse».
J’identifie la décroissance à un tabouret à trois pieds. Si l’un des trois pieds manque, le tabouret ne tient plus. Le premier pied représente le mode de vie. Il faut minimiser notre empreinte écologique et produire ce dont nous avons (vraiment) besoin avec un moindre impact sur la Terre. Par exemple, en utilisant les objets plus longtemps, en prenant les transports publiques au lieu des voitures ou en achetant les produits locaux plutôt que ceux d’importation. Le deuxième pied c’est la technologie. Les tenants de la décroissance sont parfois accusés de vouloir retourner au temps des carrosses. Rien de plus erroné : nous prônons une technologie plus respectueuse de l’environnement qui cherche à réduire soit l’utilisation d’énergie et de ressources, soit les déchets lors de la production ou de l’élimination des biens. Le troisième pied du tabouret c’est la politique. Nos politiciens doivent adopter des stratégies «décroissantes». S’il est nécessaire de réduire la consommation en énergie de chaque famille, le politique a aussi un rôle important à jouer. Par exemple, l’octroi des permis de construire devrait être lié aux paramètres d’efficacité énergétique. C’est déjà le cas, par exemple, dans certaines localités au Trentin Haut Adige et en Allemagne, où il est interdit de construire des immeubles qui consomment plus de 7 litres de mazout ou de gaz de chauffage par mètre carré par an.
Notre société est-elle préparée à changer son style de vie, actuellement basé sur le modèle de la croissance?
La décroissance n’est pas un choix. Il suffit de penser que les émissions de CO2 dans l’atmosphère ont augmenté de 33 pour cent dans les 100 dernières années. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (GIEC) (Glossaire) estime qu’on devrait connaître une augmentation de la température moyenne terrestre de 1,8 °C à 3,4 °C d’ici 2050. C’est directement lié aux activités humaines. Les conséquences sur l’homme et la nature seront considérables. La décroissance devient donc une contrainte. Soit ce passage sera imposé par l’écosystème terrestre de façon incontrôlée, soit il sera contrôlé en toute conscience par l’homme, en améliorant ses conditions de vie.
Le terme «décroissance» n’effraie-t-il pas le grand public ?
Oui, c’est possible. Mais c’est normal. On nous a tellement vendu le mot « croissance », qu’au moment de parler de décroissance, on crée une certaine résistance. Le but est d’ailleurs aussi celui-là : interpeller, montrer qu’il y a d’autres voies.
Serge Latouche dit carrément qu’on devrait parler d’«a-croissance», comme l’on parle d’a-théisme »…
Oui, il dit que l’économie ne devrait pas se poser le problème de croître ni celui de décroître. Elle devrait simplement produire ce dont on a besoin pour vivre mieux, en essayant de minimiser l’impact de cette production sur l’environnement. Il a raison, mais je crois aussi que l’économie devrait poursuivre la décroissance, car il faut inverser une tendance générale. Il faudrait développer des initiatives pour que le PIB diminue et réduire tant notre consommation de ressources que les émissions polluantes dues à la grande production de biens.
Que pensez-vous du concept de «développement durable» ?
Les termes développement et durable se contredisent. Les gens pensent que le développement durable est une croissance associée à l’application de technologies plus respectueuses de l’environnement, telle que l’utilisation des ressources renouvelables au lieu des ressources fossiles. Or, si un train est lancé à toute allure vers un mur, rien ne sert de freiner : il faut changer de direction. Je préfère la «décroissance heureuse». Quand je parle de décroissance je me réfère, d’une façon polémique, à une idée opposée à celle du développement durable. Malgré sa signification négative, la décroissance est un nouveau paradigme culturel qui dépasse celui qui a gouverné notre société de la révolution industrielle à nos jours. Par analogie avec le mot«déconstruction», utilisé par certains philosophes français, la décroissance vise à démonter un modèle de pensée pour en construire un autre.
Comment diffusez-vous vos idées ?
Propos reccueillis par Emanuela Giovannetti
Plus d’infos (en italien): http://www.decrescitafelice.it/
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