vendredi 17 août 2007

La véritable révolution verte est d’abord une révolution intérieure


Le Soir 10-8-2007. Carte blanche - La véritable révolution verte est d’abord une révolution intérieure


Charlotte Luyckx Verdin Assistante à la Faculté de médecine de l’UCL Doctorante à l’Institut supérieur de philosophie de l’UCL


Nous avons pris conscience, au cours des 50 dernières années, de la fragilité du monde naturel. Mais comment faire face aux problèmes écologiques ? Manger bio, éviter la voiture au maximum, limiter la diffusion de gaz à effet de serre, bien isoler sa maison, trier ses déchets, ne pas gaspiller l’eau : les trucs et astuces de l’éco-consommateur pullulent. Constituent-ils une véritable solution pour l’avenir de la planète ? C’est mieux que rien. Mais ce n’est pas suffisant.
Bien loin d’être révolutionnaires, des mesures de ce genre fonctionnent souvent comme autant de stratagèmes pour se donner bonne conscience. Leur manque une remise en question de fond. C’est d’autant plus vrai dans le domaine politique où certaines dispositions frôlent le burlesque (comme l’illustre le « trafic » des permis de polluer nationaux).


Ce dont nous avons besoin pour affronter la crise écologique, c’est d’un changement des individus dans leur rapport au monde. Des solutions valables à grande échelle imposent un changement de cap au niveau politique et économique. Et ce dernier n’est lui-même possible que comme une conséquence de cette modification individuelle profonde.
Christian Arnsperger, économiste de l’UCL, défend l’idée que les problèmes du système économique sont en réalité des problèmes existentiels et ne peuvent donc se résoudre qu’au niveau fondamental de nos conditions d’existence (Critique de l’existence capitaliste, Cerf, 2005).

Dans ce même ordre d’idées, les problèmes écologiques sont en réalité l’expression d’un dysfonctionnement plus profond de notre rapport à la nature, qui s’exprime par un sentiment de déconnexion. Nous vivons la plupart du temps déconnectés du monde naturel, et ce n’est pas « normal », même si c’est la norme. Un individu psychiquement sain vit une certaine connexion intuitive et perceptive avec la nature. Le sentiment de déconnexion vis-à-vis de la nature nous apparaît comme une certaine forme de pathologie psychique (1) qui constitue la racine existentielle des problèmes environnementaux actuels.


Cette prise de conscience nous invite à remettre en question l’anthropologie implicite de l’Occident. Aux yeux de celle-ci, l’homme est considéré comme maître et dominateur de la nature, et comme le seul être doté d’une valeur intrinsèque - le reste du monde naturel étant réduit à sa seule valeur instrumentale : des « choses pour nous ». On reproche souvent à cette conception son anthropocentrisme. En réalité, celui-ci n’est pas en soi antiécologique du moment qu’il n’est pas exclusif : on peut accorder une valeur prépondérante à l’être humain (au nom de laquelle on considère la vie d’une renoncule comme moins précieuse que celle d’un nouveau-né), sans pour autant le concevoir comme le seul être doté de valeur intrinsèque (on peut considérer que la renoncule est dotée d’une valeur autre qu’instrumentale).
Mais pour comprendre la valeur du monde naturel, pour la percevoir et en faire l’intuition, il faut autre chose que des concepts. Ainsi, le véritable problème est que cette anthropologie réductrice n’a pas seulement un impact idéologique sur nous ; elle influence également notre capacité perceptive et intuitive à faire l’expérience de la nature : nous finissons par nous retrouver effectivement seuls face à un monde silencieux qui n’a rien à dire et qui n’écoute pas, amputés de la capacité à en percevoir le sens et à nous y sentir reliés.


En ce sens, l’engagement écologique impose le développement et l’affinement des capacités intuitives et perceptives qui sont relativement atrophiées chez l’adulte occidental : c’est une démarche aussi bien esthétique que spirituelle et psychologique. Nous avons tout à gagner à oeuvrer, individuellement et collectivement, à une reconnexion avec la nature. Non seulement parce que la menace écologique croissante est telle que notre survie collective en dépend. Mais aussi parce que le contact avec la nature n’est pas un élément périphérique pour notre santé psychique : cette reconnexion est l’occasion d’une « reliance » plus large, avec certains aspects de nous-mêmes dont nous avons été progressivement amputés (2).


Pour renouer le contact avec la nature, il est fort probable que nous devions opérer divers changements à d’autres niveaux de notre être qui modifient qualitativement notre personne et nos rapports aux autres.

Comme l’affirme le naturaliste américain Macmillan,

« Il faut sauver les condors, pas tellement parce que nous en avons besoin, mais surtout parce que pour les sauver, il nous faut développer les qualités humaines dont nous avons besoin pour nous sauver nous-mêmes ».

Et c’est ce type de développement qui rend possibles les changements politiques, sociaux et économiques à grande échelle.

En ce sens l’écologie est un humanisme au sens fort.


Comment engranger effectivement en nous ce changement ? La démarche intérieure est toujours singulière ; mais nous pouvons nous risquer à poser certaines balises.

Le premier pas vers la reliance est de l’ordre de la prise de conscience de ce qui, en nous (dans nos rapports aux autres et à la nature), est bancal et déconnecté.

Le deuxième nous engage dans une lutte : affronter et assumer nos peurs, nos dégoûts ou notre indifférence envers la nature (et, parallèlement, envers nous-même et envers les autres).

Le troisième est contemplatif : il nous mène à percevoir la nature et l’environnement comme source d’inspiration et de jouissance esthétique, levier spirituel, lieu de vie.


Ces quelques pas nous auront déjà engagés dans une marche : il faut pouvoir y consacrer du temps. Pour cela, il est fort probable que nous devions adopter un mode de vie plus simple et plus sain, moins embourbés dans les engrenages du productivisme et du consumérisme, qui participent dans une large mesure du phénomène de déconnexion et qui mobilisent beaucoup du temps et de l’énergie de ceux qui s’y consacrent. « Moins de biens, plus de liens », tel était le slogan d’une marche qui a eu lieu cet été entre Maubeuge et Liège. Il illustre l’intuition qui guide cet article : la « reliance » dont il est ici question a beaucoup à voir avec un recentrage sur l’essentiel. La bonne nouvelle est qu’il s’agit d’une réelle libération.

La véritable révolution verte, tout comme la véritable révolution sociale, est d’abord une révolution intérieure !

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je partage cette vision du changement, cela m'interpelle et m'enthousiasme.
J'aime beaucoup la phrase "Il faut sauver les condors ...".
Elle évoque pour moi, toute la sensibilité qu'il nous faut développer pour aborder le changement dont il est question dans cet article.